Château d'En-Bas à Gerpinnes

Texte : Thierry Frippiat

De la Cense du Fourneau au Château d’En-Bas

La construction de cette riche demeure remonte au XVIIe siècle. Elle est due à la famille Desmanets, maîtres des forges. Celui que l’on connaît aujourd’hui comme le « Château d’En-Bas », en raison de sa situation en fond de vallée (par opposition au « Château d’En-Haut »), était jadis qualifié de « Cense du Fourneau ». Ce titre, qui rappelle l’ancienne vocation agricole du site, doit à la présence d’un fourneau à fondre le fer. Ce dernier fut construit par Martin Desmanets et Jean de Bruges, sur le ruisseau. L’autorisation en fut donnée par l’administration de Philippe IV d’Espagne, souverain des Pays-Bas, par lettres scellées du 17 mars 1644.

Illustration n° 1. État des bâtiments en 1841.

La Cense du Fourneau a connu d’importantes transformations au fil des siècles, si bien qu’il ne subsiste rien – ou très peu – de l’organisation primitive des bâtiments. Du milieu du XVIIIe siècle à 1841, les cartes et plans laissent deviner un vaste quadrilatère recouvrant en partie la cour actuelle et s’étendant davantage encore vers l’ouest. La propriété fut vendue à Guillaume de Bruges, en 1760. Il semble qu’on doive à ses descendants le démantèlement et la reconstruction complète du site, à partir du milieu du XIXe siècle. Ces travaux sont à peu près contemporains de l’installation du chemin de fer à proximité directe du château. Les bâtiments actuels ne sont pas antérieurs à cette époque.

Illustration n° 2. Le château d’En-Bas au début du XXe siècle.

Tel qu’il se présentait lors de son acquisition par les chanoines de Latran en 1930, le Château d’En-Bas se composait ainsi de deux ensembles : une imposante bâtisse d’allure néo-classique et une ferme en carré, édifiées vers le milieu du XIXe siècle. La seconde s’ouvre au sud avec une remarquable portelette de style néo-gothique à deux tourelles. Au nord, l’accès à la rue s’effectue à travers une porte percée dans une solide tour carrée à oculus. Au sud-ouest de cet ensemble, se trouve une remarquable serre cylindrique à lanterneau, autrefois accessible par une annexe entièrement vitrée. Une tour circulaire du XIXe siècle marque l’angle de la cour d’honneur, dont les grilles n’ont pas subsisté.

Du séminaire canonial au collège Saint-Augustin

Le 12 août 1930, François de Bruges de Gerpinnes vend son château aux chanoines réguliers du Latran. Ces derniers y installent un prieuré et fondent un séminaire. En 1931, un imposant bâtiment en béton armé est bâti à cette fin (actuellement bloc A). Il se compose d’un réfectoire, d’un atelier de menuiserie, d’une salle de jeux (rez-de-chaussée), de classes, d’une salle d’étude (premier étage) et d’un internat (deuxième et troisième étages). La même année, à la rentrée, on compte déjà 29 séminaristes provenant de Belgique, de France et des Pays-Bas. Ceux-ci y suivent leurs humanités et se préparent à recevoir le sacerdoce. On parle de « séminaire colonial » : il s’agissait notamment de former des missionnaires pour la colonie africaine du Congo. Cinq ans plus tard, on compte 51 inscrits et le site devient trop étroit, car les premiers élèves sont devenus des novices, puis des étudiants en philosophie et en théologie : le noviciat est transféré à Namur.

Illustration n° 3. Vue aérienne du collège Saint-Augustin.

La Deuxième Guerre mondiale marque un déclin. Par la suite, les vocations se font plus incertaines. Les chanoines donnent alors au séminaire une orientation nouvelle et obtiennent l’autorisation d’ouvrir ses portes aux non-séminaristes, dès 1949. Les défis imposés par ce virage sont nombreux, en termes d’infrastructures et d’offre éducative. Malgré les difficultés, les chanoines inaugurent une chapelle flambant neuve. Quelques mois plus tard, un malheur frappe la communauté : la partie supérieure du prieuré est la proie des flammes, le 21 juillet 1950. La réfection du bâtiment permettra l’ajout d’un étage supplémentaire sous une toiture à la Mansart et le placement d’une statue de saint Augustin d’Hippone en façade.

Le Collège Saint-Augustin se développe. En 1957, pour la première fois, les quatre rhétoriciens issus du Collège Saint-Augustin obtiennent l’homologation de leur certificat de l’enseignement secondaire supérieur. De grands travaux sont réalisés dans les années 1960 : une vaste extension en briques est réalisée du côté est en 1961 (bloc B), suivie par le préfabriqué primaire (1966) et le hall omnisports (1968). En 1974, les chanoines abandonnent la direction de l’école, qui repose désormais entre les mains d’une ASBL. En 1985, l’internat est fermé. Les blocs A et B accueilleront désormais des classes. Le bloc primaire est inauguré en 1991, ainsi que le préau surmontant la cour de l’ancienne ferme et les laboratoires. Un terrain de sports voit le jour en 1997.

Survol du Collège Saint-Augustin en 2019. © Vues du Ciel.

Au château dans les deux guerres

Le Château d’En-Bas est le théâtre d’épisodes dramatiques durant chacun des deux conflits mondiaux. Le 22 août 1914 au matin, alors que les combats font rage autour de la Sambre, une vingtaine de blessés français y sont acheminés en provenance de la bataille de Châtelet-Villers. D’autres suivront. Le lendemain matin, les Allemands parviennent à Gerpinnes. Les blessés sont acheminés par centaines vers le château, propriété de la famille de Bruges, dont une septantaine de soldats français. Certains sont allongés dehors à même le sol. Une salle d’opération est improvisée, les amputations se succèdent. Des dizaines de soldats des deux camps ne survivront pas à leurs blessures.

Illustration n° 4. Quelques heures avant son exécution, le jeune Fernand Heuveneers adresse une ultime lettre à la communauté gerpinnoise.

Durant la Seconde Guerre mondiale, le château devenu prieuré connaît à nouveau l’occupation allemande. Le 3 juillet 1942, un câble téléphonique allemand est sectionné dans les campagnes. Revenant de ses travaux dans les champs, Fernand Heuveneers, jeune religieux de 21 ans, croise la route des Allemands en colère. Il porte une houe, objet tranchant, et est accusé de sabotage. Les religieux sont convoqués au prieuré, le bâtiment est inspecté et des billets de propagande sont retrouvés dans les papiers de Fernand. Malgré son innocence, ce dernier est emprisonné à Charleroi et forcé d’avouer les faits pour éviter la fermeture du prieuré. Il ne mesure pas encore la conséquence de son aveu. Transféré à Bruxelles, il est jugé le 20 juillet et condamné à mort. Au soir du 22 septembre, Fernand apprend qu’il sera exécuté le lendemain. L’aumônier allemand, Mgr. Gramman, l’assiste et admire son calme. Le jeune condamné rédige trois lettres, puis s’endort paisiblement de minuit à 3h30. Il est réveillé par l’aumônier, qui lui sert sa dernière messe. Il fume et déjeune avec calme, puis est transféré à Hechtel (Limbourg) et exécuté. Il tombe au cri de « Vive la Belgique ! ». En 1947, Fernand Heuveneers est décoré à titre posthume de la Croix de chevalier de l’Ordre de Léopold II et de la Croix de Guerre avec palme. Dans le hall d’entrée du Collège Saint-Augustin, une plaque de marbre commémore ce fait tragique.

Liste des illustrations

1. Plan : atlas des chemins vicinaux, 1841. Adm. communale de Gerpinnes
2. Carte postale : le château de Bruges. Coll. Y. Debacker.
3. Carte postale : vue aérienne du collège Saint-Augustin. Coll. Y. Debacker.
4. Document : extrait d’une lettre de Fernand Heuveneers, 22 septembre 1942. Coll. Cercle d’Histoire et de Généalogie de Gerpinnes.

Citer cet article

« Château d’En-Bas à Gerpinnes », dans Cercle d’Histoire et de Généalogie de Gerpinnes, Gerpinnes. Histoire et Patrimoine, histoiregerpinnes.wordpress.com.

Mis à jour le 19 février 2020.