Ferme Saint-Pierre à Gerpinnes

Texte : Thierry Frippiat

Sous l’Ancien Régime : la seigneurie de Rabusée

Sous l’Ancien Régime, Gerpinnes et ses campagnes relevaient entièrement de la seigneurie hautaine du chapitre noble de Moustier-sur-Sambre. Au sein de ce vaste ensemble, on comptait aussi de petites seigneuries d’un rang inférieur (dites « foncières »), auxquelles se rattachaient seulement des droits liés au sol et à la basse-justice. Seules deux d’entre elles ne relevaient pas d’un établissement religieux de la région : il s’agit des seigneuries de Lanthenée et de Rabusée, qui occupaient les campagnes situées entre Gerpinnes et Tarcienne. La première, plus éloignée, se situait en amont sur le ruisseau d’Ôjète, à proximité du lieu dit « Bois des Quatre Frères ». La seigneurie de Rabusée occupait une zone plus proche de Gerpinnes, entre les ruisseaux d’Ôjète et Saint-Pierre. Elle avait son centre à environ un kilomètre de l’actuelle Ferme Saint-Pierre en direction de Tarcienne, dans la vallée du Saint-Pierre, au lieu dit « Mistrobu ». La carte de Ferraris, réalisée dans les années 1770, signale cette « Maison Rabusée » dont il ne reste rien aujourd’hui.

Illustration n° 1. Cette croix d’occis de 1753, bordant le verger de la ferme Saint-Pierre, a été restaurée par l’ASBL Terra Nostra Gerpinnes en 2015.

La seigneurie de Rabusée était un centre d’exploitation vivace. On y pratiquait l’agriculture et l’élevage, tandis qu’un moulin est signalé dès 1243. Les hommes y exploitaient aussi les richesses du sol. Des mines de fer sont attestées par les cartes anciennes. La pierre calcaire était également extraite en plusieurs endroits et servait à la fabrication de la chaux. Les archives mentionnent ainsi une « cimentière », en 1654. Aujourd’hui encore, un témoignage malheureux évoque cette industrie du passé : une croix d’occis située en bordure du chemin longeant le verger de la Ferme Saint-Pierre. Elle commémore la disparition d’un dénommé Jean-François Henseval, métayer à la Cense du Mont, qui mourut écrasé à cet endroit sous les ruines d’un four à chaux, le 31 janvier 1753.

La ferme Saint-Pierre

En comparaison avec les autres édifices remarquables du centre du village, la Ferme Saint-Pierre est de construction relativement tardive. Elle fut édifiée au milieu du XIXe siècle par la famille de Bruges. Comme de nombreuses fermes de nos régions, son plan dessine un quadrilatère, qui s’étend ici tout en longueur. Ses dimensions sont imposantes, à la hauteur des surfaces de terres dont le fermier avait à s’occuper dans les premiers temps de la ferme : près de 140 hectares, en 1881 ! La ferme était alors exploitée par M. Boulvin. Des technologies avancées pour l’époque lui permettaient de cultiver annuellement 59 ha de fourrages (prairies naturelles et artificielles, fourrages), 55 ha de céréales (froment, seigle, orges d’hiver et de mars, épeautre, avoine) et 26 ha de plantes-racines et industrielles (betteraves, lin, etc.). La famille Staumont a repris l’exploitation en 1925. En 1947, l’exploitation ne comptait plus que 62 hectares de terres. Pierre et Brigitte Philippe-Bossiroy gèrent la ferme pour moitié depuis 1975, entièrement depuis les années 1990.

Illustration n° 2. La ferme Saint-Pierre reçoit la compagnie de la jeune marche Saint-Pierre chaque année, le deuxième dimanche de septembre.

La jeune marche Saint-Pierre

Dès avant la Première Guerre mondiale, à la Saint-Pierre (29 juin), la jeunesse de Gerpinnes a pour tradition de se rendre à la « ferme Boulvin », c’est-à-dire à la Ferme Saint-Pierre. Les gamins ont des « fiers à capsule » et font sauter les amorces, avant de reprendre fièrement le chemin du centre du village, tambour battant. Un trio de tambourîs rythme la marche : il est composé du jeune René Hamels, futur major au sein de l’Armée belge, de son oncle Henri Deglume, peintre impressionniste bien connu, et d’Alfred Golinvaux. Les années passent…

Illustration n° 3. Pentecôte de guerre. Les enfants assurent la rentrée de la procession en l’honneur de sainte Rolende, entre le Sartia et l’église Saint-Michel.

En 1940, la Belgique passe sous occupation allemande. Les armes sont remisées, les défilés militaires interdits. L’année suivante, le bourgmestre Victor Dethise doit fêter le centenaire de l’un de ses administrés, Julien Henseval, dit « Carry ». Que faire ? René Hamels, le tambourî devenu major, invalide de la Première Guerre mondiale, suggère de faire marcher les enfants en lieu et place des adultes. Pour ce faire, il est aidé par l’instituteur, Léon Gonthier. La jeune marche est née. Dès le lundi de Pentecôte 1941, une quarantaine d’enfants costumés et armés de fusils en bois assureront surtout l’escorte de la châsse du Sartia à l’église, sous le regard à la fois ému et admiratif de la population. La jeune escorte se perpétue l’année suivante, grossie de vingt-quatre enfants supplémentaires. « On voit plus d’un vieux marcheur essuyer furtivement une larme », écrit cette année-là Léon Gonthier. Germaine Bossaux, excellente brodeuse, confectionne un drapeau. Sur ce dernier, Marie Staumont, fille du propriétaire de la ferme, peint la figure de saint Pierre. Dès la Pentecôte 1945, l’escorte militaire « traditionnelle » reprend ses droits, à nouveau emmenée par les adultes. Arthur Dimanche, succédant à Léon Gonthier comme instituteur en 1948, décidera toutefois de relancer la marche Saint-Pierre, qui se perpétue encore aujourd’hui, le week-end du deuxième dimanche de septembre.

Liste des illustrations

1. Photographie : croix d’occis, 1753. Photo T. Frippiat.
2. Photographie : vue aérienne de la ferme Saint-Pierre, lors de la réception de la jeune marche, septembre 2018. F. Van den Heede.
3. Photographie : pentecôte de guerre. Coll. Musée des Marches folkloriques de l’Entre-Sambre-et-Meuse.

Citer cet article

« Ferme Saint-Pierre à Gerpinnes », dans Cercle d’Histoire et de Généalogie de Gerpinnes, Gerpinnes. Histoire et Patrimoine, histoiregerpinnes.wordpress.com.

Mis à jour le 9 février 2020.